1Soyez vigilants sur la date de publication de la retranscription du tchat qui correspond au jour du témoignage de l'invité(e). Certaines formations ou diplômes peuvent avoir évolué au gré des réformes. N'hésitez pas à utiliser notre moteur de recherche pour connaître les formations qui mènent à ce métier et les modes d’admission actuels. |
Modérateur : Bonjour. Nous accueillons aujourd'hui Jérémie Lopez, ébéniste créateur. Vous pouvez lui poser vos questions sur son parcours, son métier, son activité, etc. N'hésitez pas ! Bon tchat !
Jérémie Lopez : Bonjour à tous, heureux d'être là cet après-midi avec vous pour partager vos questionnements à propos de mon métier.
Nissa : Comment avez-vous découvert votre passion pour ce métier ?
Jérémie Lopez : Ça remonte à l'enfance, à l'époque où je faisais des cabanes dans les arbres et des maisonnettes de bâtons de glace, des jeux avec des allumettes, etc.
22_diaco : Quelles ont été vos motivations pour faire votre métier ?
Jérémie Lopez : La passion pour la matière avant tout. Le bois est un matériau vivant, chaud, agréable au toucher, à la vue et même à l'odeur. Et, finalement, ce qui me motive c’est de comprendre le matériau et lui donner une nouvelle vie, une nouvelle fonction : servir à l'environnement de l'homme et à son habitat.
Camerin : Quel est votre parcours ?
Jérémie Lopez : Mon parcours est à la fois classique et non classique. Avant la formation "globale" (du CAP jusqu'au diplôme de métier d'art), j'ai fait un bac scientifique.
Steven : 15 ans en lycée général. J'aimerais devenir ébéniste. Quel parcours me conseillez-vous ?
Damarys : Y a-t-il un parcours à privilégier question études pour faire votre métier ?
Jérémie Lopez : Le parcours "classique" : commencer par un CAP ébéniste (2 ans, avant le bac pro ou brevet des métiers d'art) et, pour ceux qui ont vraiment envie d'aller plus loin et de toucher à l'aspect créatif du métier, la suite logique est le diplôme des métiers d'art (niveau BTS).
Rem : Le (ou votre) diplôme est-il compliqué à obtenir ?
Jérémie Lopez : Il faut avoir un bon niveau général. Le diplôme de métier d'art, ce n'est pas que la pratique, mais aussi la théorie. Il y a cinq mémoires écrits dans l'année : littérature, gestion, physique, langue étrangère et la pièce d'œuvre. Pour réussir, il faut de la discipline et de la rigueur et, surtout, beaucoup de travail personnel.
M. : Vous êtes passé par l'école Boulle. Quel regard portez-vous sur la formation proposée là-bas ?
Jérémie Lopez : Je trouve que c'est une formation de grande qualité car on y apprend les gestes ancestraux et la tradition du métier. Mais cette formation pousse à avoir aussi le regard "en éventail", à s'intéresser à tous les arts (appliqués ou plastiques). Elle forme à la fois au savoir-faire et au "savoir-être" (attitude d'humilité par rapport au métier).
Marion : J'ai vu sur votre site que vous aviez développé trois collections. Est-il difficile de diffuser/vendre vos propres collections ? Travaillez-vous surtout à la commande ?
Jérémie Lopez : Je travaille la plupart du temps à la commande et, en parallèle, je développe mes propres collections de mobilier haut de gamme. Pour la diffusion, il y a le savoir-faire et le "faire savoir". La communication est primordiale : développer sa clientèle cible et trouver les bons interlocuteurs. On vend à des gens initiés et cultivés, mais sans être élitiste : tout un chacun doit pouvoir apprécier l'œuvre.
Ez : L'insertion après l'obtention du diplôme est-elle plutôt bonne ou compliquée ?
Jérémie Lopez : A chacun de faire sa place... C'est compliqué car hélas la France n'aide pas entrepreneuriat, mais avec de la volonté et de la persévérance on y arrive.
Nc : Le CAP est-il suffisant pour faire votre métier à son compte (dans le cadre d'une reconversion) ou faut-il poursuivre encore ?
Jérémie Lopez : Tout dépend de ce qu'on veut faire. Si on veut juste faire de l'exécution (se positionner comme sous-traitant pour l'industrie par exemple), le CAP suffit. Mais pour gérer une entreprise, communiquer, maîtriser l'outil informatique et développer l'aspect créatif, poursuivre ses études est un plus. Un CAP me paraît trop limite pour monter sa boîte.
Jammy : Est-ce facile de se mettre à son compte ?
djéni.tuo : Est-ce que c'est facile d’être à son propre compte ?
Jérémie Lopez : Non, ce n'est pas évident, surtout en France où il y a des aides mais beaucoup de barrières à la création d'entreprise, notamment les charges qui sont un frein.
Zoé stéphan : Je ne suis pas très bonne en maths, je peux quand même faire ce beau métier ?
Jérémie Lopez : C'est possible, mais les maths, on s'en sert tous les jours, toutes les minutes : calculer les angles, des cotes, régir les proportions d'un meuble, calculer le nombre de matière qu'il faut... Ça ne veut pas dire qu'on est obligé d'être bon en maths, mais c'est mieux !
Badouchka : Moi c'est le côté "gestion d'entreprise" qui m'intéresse. Comment avez-vous eu vos premiers clients ? Comment avez-vous financé vos premières créations et comment les avez-vous vendues ?
Jérémie Lopez : Les premiers clients, c'est l'entourage, les amis d'amis et le bouche à oreille, à partir duquel on développe un vrai réseau. Les premières créations, elles sont autofinancées, et elles le restent d'ailleurs... La vente, c'est par des intermédiaires galeristes. Et aussi des salons et expositions.
Zoé stéphan : Tu utilises quoi comme bois ?
Jérémie Lopez : Toute essence : des bois de pays, comme le chêne, l'érable, le sapin, matériaux peu onéreux mais qu'on peut sublimer. Les mettre en regard avec les essences précieuses, comme l'ébène, le palissandre, le bois de violette...
Swann Vidal : J'aimerais savoir quelle serait la meilleure école pour faire ce métier ?
Jérémie Lopez : Je pense que l'école Boulle reste la meilleure. Ce qu'il y a de plus, c'est ce qu'il y a autour : l'accès aux arts du bois (marqueterie, sculpture, tournage sur bois...) et les métiers de l'ameublement (métal, gravure, tapisserie d'ameublement - tissus et teintures). Les DMA de Sablé-sur-Sarthe et de Revel sont d'autres formations de très bonne qualité, si j'en juge par la qualité des stagiaires venus à mon atelier.
Yoyo : Après votre diplôme, avez-vous eu du mal à trouver du travail ? Avez-vous commencé par accepter des postes d'exécutants, par exemple, ou de la fabrication industrielle ?
Jérémie Lopez : Non, j'ai choisi les entreprises dans lesquelles je voulais aller, pour y apprendre certains savoirs. Cette phase a duré neuf mois, après quoi je me suis mis à mon compte. Il s'agissait déjà d'ateliers de création.
Arhem : Combien êtes-vous dans votre entreprise et quels sont les différents métiers ?
Jérémie Lopez : Là, je suis seul, et j'ai régulièrement des stagiaires. Seul le métier d'ébénisterie est pratiqué.
GIGI : Combien de personnes travaillent dans votre atelier ? Peut-on fabriquer des meubles tout seul ou est-ce compliqué ? Faut-il investir beaucoup d'argent dans l'achat de machines ?
Jérémie Lopez : Qu'on soit seul ou plusieurs (j'ai eu jusqu'à un CDI + 2 apprentis à une époque), l'investissement machines en ébénisterie est élevé (scie circulaire, scie à ruban, raboteuse et beaucoup d'outillage manuel). On peut fabriquer tout seul, bien sûr. Ce que j'aime, c'est partager avec les stagiaires, car à plusieurs cerveaux, il y a des échanges, des idées naissent qui sont la réunion de nos savoirs.
Arhem : C'est-à-dire que c'est vous qui vous vous occupez de la création, de la fabrication, de la communication ?
Jérémie Lopez : Oui, je suis seul à gérer la phase créative, la conception, la fabrication, la communication. Ça, c'est l'environnement de l'atelier. Puis il y a celui de la gestion : devis, facturation, gestion proprement dite...
M. : Avez-vous repris la suite d'un artisan ou avez-vous monté votre boîte seul ? Quelle somme faut-il pour s'installer à son compte ?
Jérémie Lopez : Non, j'ai tout créé à partir de zéro. Pour les machines, compter environ 25 000 euros. Pour créer son entreprise, un capital de départ de 4 000 ou 5 000 euros suffit. On peut se faire aider par des plateformes du type Initiative France ou France Active. Il existe des exonérations de charges type Accre ou Nacre.
Charlotte : Bonjour, est-il difficile selon vous de vivre seulement de la création de meubles ? Quel public touchez-vous ? Faut-il diversifier son offre ?
Jérémie Lopez : Actuellement, je ne vis absolument pas de la création. C'est plus pour moi une réflexion sur le métier et proposer une vision personnelle du métier, mais ce n'est pas rémunérateur, en tout cas, pas pour l'instant. Le public touché, ce peut être des particuliers voulant s'offrir une pièce personnalisée (bibliothèque, dressing...), des entreprises qui veulent pour leurs bureaux des pièces d'artisan... Diversifier son offre, oui, c'est primordial. La preuve sur mon site : je travaille autant pour les particuliers, les entreprises, les institutions et même l'événementiel.
Romeo71_bis : Vous passez plus de temps à travailler manuellement ou intellectuellement ?
Jérémie Lopez : Ce n'est jamais égal. On travaille beaucoup plus intellectuellement dans la phase de conception, de recherche graphique... Mais la main est le plongement naturel de l'esprit, donc on travaille toujours avec les deux.
Miky : Quelles sont les qualités requises pour faire votre métier ?
Jérémie Lopez : D'abord, on ne peut pas faire ce métier si on n'est pas passionné. Il faut aussi de la précision, de la rigueur, de la patience et de la remise en question. Et beaucoup d'humilité.
Nathyt : Quelles sont vos horaires de travail ?
Jérémie Lopez : De 6 h 30 à 23 h 30... minimum ! On fait 35 heures... mais elles sont faites dès le mercredi midi ! Ce sont plutôt des semaines de 70 ou 80 heures...
Badouchka : Si vous ne vivez pas de vos créations, comment vous assurez-vous un salaire ?
Jérémie Lopez : A travers le travail de commande, d'exécution et de sous-traitance.
Gabriel BOUCHER : Comment l'acheminement du bois se fait jusqu'à ton atelier ?
Jérémie Lopez : Les fournisseurs (marchands de bois) l'acheminent eux-mêmes.
Lilimiss : Je voudrais savoir si ce métier a un intérêt particulier en termes de variété ?
Jérémie Lopez : Oui ! C'est très varié, car avant de créer, on discute avec le client, il faut donc savoir négocier, être diplomate et ferme à la fois. Après, quand le client est d'accord, il faut avoir de l'imagination, être créatif, réactif. Quand le projet est validé, il faut le concevoir, donc être intelligent pour rationaliser la fabrication. Enfin, lors des phases de fabrication, il faut être rigoureux, rentable, précis et persévérant.
S.Agelo : Quelle spécialité si je veux être diversifié ? Ebéniste ou menuisier ?
Jérémie Lopez : C'est l'occasion de préciser la différence entre les deux métiers. Le menuisier est celui qui s'occupe des huisseries : les portes, les fenêtres, tout ce qui est "immobile". L'ébéniste s'occupe du mobilier, c'est-à-dire des objets mobiles (tables, meubles). Les deux métiers sont complémentaires et aussi diversifiés l'un que l'autre.
Anthony.F : Quel diplôme conseilleriez-vous, si on souhaite devenir créateur de mobilier et travailler avec des designers, entre le Bac pro menuisier agenceur et le BMA ébéniste ?
Jérémie Lopez : Tout dépend ce qu'on veut faire. Le bac pro ébéniste amène plutôt à une réflexion industrielle. Le brevet Métier d'art (BMA, niveau bac pro), à l'artisanat.
Modérateur : Pour plus de précisions, cliquez sur la fiche Formation.
Badouchka : Les galeries qui exposent vos meubles sont sur Paris ?
Jérémie Lopez : Oui, ce sont des galeries situées dans Paris.
Iris Lecerf : Comment bifurquer vers une formation en ébénisterie après un parcours général (personnellement, après une année d'hypokhâgne) ?
Jérémie Lopez : Tout dépend de l'âge. C'est soit une Mise à niveau métiers d'art, soit le GRETA.
Chris : comment se diriger vers une formation artisanal quand on a fait un parcours général et qu'on ne peut pas faire une Mise à niveau pour faire un DMA ?
Jérémie Lopez : Dans votre cas, c'est une formation pour adultes (GRETA ou INFA).
Lsautier : Pensez-vous que ce soit une filière d'avenir : le métier est-il en expansion ? Actuellement, la tendance n'est-elle pas à la disparition des ateliers d'ébéniste ?
Jérémie Lopez : C'est vrai qu'il y a une tendance à la perte des savoirs, mais justement il est de notre devoir de transmettre le métier, les gestes. C'est ainsi qu'il sera en expansion et aura un avenir.
Vrbois : Bonjour, comment sentez-vous l'avenir dans le meuble ? Je suis moi-même menuisier ébéniste, artisan depuis 15 ans. Les demandes en meuble sont très rares. Il y a de la demande en agencement, en fabrication de menuiserie ou en restauration. Pensez-vous qu'il ne faut plutôt diriger les jeunes ou moins jeunes vers un secteur d'activité ou il y a plus de débouchés comme l'agencement ou les autres secteurs du bois : charpente, menuiserie...
Jérémie Lopez : J'entends souvent ce discours par rapport auquel j'ai des réserves. Je pense qu'il faut inciter les jeunes à faire d'abord ce qu'ils ont envie de faire au fond d'eux, sans penser uniquement aux débouchés. C'est en multipliant l'offre de meubles de qualité que le marché ira dans ce sens et oubliera l'agencement médiocre... L'agencement peut être réfléchi, de sorte que le projet soit qualitatif, en mettant de côté les matériaux non nobles.
Davidee : Dans votre corps de métier, est-il important d'évoluer ou d'avoir baigné dans un univers de boîte passée de père en fils ou bien cela n'a pas d'importance ?
Jérémie Lopez : Non, ce n'est pas une nécessité d'avoir baigné dans ce métier. On peut même être autodidacte et avoir ainsi un regard neuf sur le métier.
Charlie : Comment voyez-vous votre activité dans 10 ans ? Mêmes horaires ?
Jérémie Lopez : Oui, car pour moi c'est un plaisir. J'aime bien me lever tôt et réfléchir à ce que j'ai à faire. Ce n'est pas un travail dans le sens de labeur, c'est un plaisir, et les journées, je ne les vois pas passer ! Dans 10 ans, j'aimerais me consacrer à la phase de recherche et de développement.
Chriscrea : J'ai 41 ans auto-entrepreneur et créatrice de mobilier en carton et souhaite avoir de bonnes bases pour créer de beaux meubles en bois. Est-ce essentiel de faire une formation d'ébéniste ou puis-je passer par une autre filière ? Merci.
Jérémie Lopez : On peut toujours apprendre dans les livres, mais il faut bien passer à l'établi un jour ou l'autre, donc avoir des connaissances dans le métier.
Yoyo : Vous êtes satisfait du revenu que vous vous dégagez ?
Jérémie Lopez : Le seul revenu que je dégage, c'est pour vivre au quotidien. Cela fait deux ans que je n'ai pas pris de rémunération. C'est un sacrifice pour développer l'entreprise, dans l'espoir un jour d'en dégager un. Le meilleur des salaires, c'est d'être heureux tous les jours en faisant le métier qu'on aime.
Modérateur : Nous prenons les dernières questions...
Charlie : On dit des cordonniers qu'ils sont souvent mal chaussés. Quel type de mobilier avez-vous chez vous ?
Jérémie Lopez : La plupart des meubles que j'ai chez moi sont des meubles récupérés dans la rue, que je chine et que je transforme à mon goût.
Dom : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui voudraient se lancer ?
Jérémie Lopez : Le meilleur des conseils, c'est d'aller vers la formation que vous souhaitez vraiment, et ne pas écouter le discours ambiant selon lequel les métiers d'art ne seraient destinés qu'aux mauvais élèves. Le métier manuel requiert beaucoup de travail intellectuel et est autant porteur que celui d’ingénieur, par exemple.
Modérateur : Le tchat se termine. Merci à tous de votre participation ! Le mot de la fin, Jérémie ?
Jérémie Lopez : Merci pour vos questions. Je vous recommande de regarder ce soir à 20h40 sur France 5 l'émission "La maison France 5", dans laquelle vous pourrez voir un sujet qui est consacré à l'atelier Kwantiq.
Modérateur : Merci à tous de votre participation.